La République démocratique du Congo (RDC) connaît une instabilité prolongée, avec des conflits qui perdurent depuis près de trois décennies. Depuis 1997, des millions de Congolais ont perdu la vie en raison de la violence continue, qui s’est encore intensifiée depuis 2021 suite à la résurgence du groupe rebelle M23, prétendument soutenu par le gouvernement rwandais et certaines puissances occidentales.
Au départ, il n’était pas certain que le M23 parvienne à gagner du terrain de manière significative dans le pays ou à résister aux représailles des Forces armées congolaises (FARDC). Même lorsque la ville de Bunagana est tombée aux mains des rebelles en juin 2022, beaucoup s’attendaient à une contre-offensive rapide de l’armée congolaise, comme cela avait été le cas sous l’administration de l’ancien président Joseph Kabila.
Cependant, ces attentes ont radicalement changé après la chute de Goma, une ville clé, aux mains du M23. Malgré les assurances du président Félix Tshisekedi, qui a promis une réponse énergique et imminente, la situation a continué de se détériorer.
Aujourd’hui, avec la prise de Bukavu par le M23 dans le Sud-Kivu, la situation est devenue encore plus grave. L’armée congolaise (FARDC) semble de plus en plus démoralisée et des désertions sont signalées. Le retrait des forces alliées burundaises (FDNB) et l’inaction des troupes sud-africaines (SANDF), qui étaient censées intervenir, ont encore affaibli les efforts visant à contenir la rébellion. A ce stade, rien ne semble empêcher le M23 d’avancer vers la capitale, Kinshasa.
Les initiatives de paix régionales, que ce soit par l’intermédiaire de la Communauté de l’Afrique de l’Est (CAE) ou de la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC), n’ont pas produit de résultats tangibles, aucune de leurs résolutions n’ayant été effectivement mise en œuvre. L’incapacité de l’Union africaine à prendre des mesures décisives, conjuguée à la duplicité perçue des puissances occidentales, souligne la dure réalité selon laquelle le peuple congolais pourrait bien devoir compter sur sa propre armée pour défendre son pays.
Mais compte tenu de l’engagement hésitant des FARDC et des rapports faisant état de désertions, la question urgente demeure : une armée qui ne veut pas se battre peut-elle véritablement protéger la souveraineté de la RDC ?
Cette crise en cours offre des enseignements cruciaux sur le leadership à Kinshasa, qui sont tout aussi pertinents pour de nombreux autres pays africains. Si certains se concentrent sur la désertion des Forces armées congolaises (FARDC), une analyse plus objective pointe du doigt l’échec du leadership, en particulier sous l’administration du président Félix Tshisekedi depuis 2018.
Le leadership à l’ère de la responsabilité
L’ère de l’autorité incontrôlée et de la manipulation est révolue. Au cours des dernières décennies, il était plus facile pour les dirigeants d’exploiter leur peuple par des tactiques trompeuses, en s’appuyant sur le secret et l’ignorance d’une population mal informée pour maintenir leur pouvoir et leurs privilèges. De nombreux dictateurs et tyrans ont prospéré en faisant des promesses creuses à leurs citoyens tout en profitant d’un style de vie luxueux à leurs dépens. Cependant, à l’ère numérique d’aujourd’hui, où les plateformes de médias sociaux comme TikTok et d’autres facilitent la diffusion rapide de l’information, ces stratégies obsolètes sont de plus en plus inefficaces. Pourtant, certains dirigeants, notamment ceux de Kinshasa, continuent d’agir comme s’ils pouvaient réprimer la dissidence et contrôler les discours comme ils le faisaient par le passé.
La crise actuelle en RDC met en évidence une culture de leadership marquée par l’extravagance et le détachement, malgré l’insécurité qui règne depuis longtemps dans le pays. Par exemple, alors que les soldats sur le front gagnent à peine 150 dollars par mois, les députés percevraient un salaire mensuel d’environ 20 000 dollars. Le président Tshisekedi lui-même, interrogé sur son salaire lors d’une interview, a affirmé ne pas le savoir – une déclaration largement perçue comme une tentative de paraître désintéressé par la richesse, même si beaucoup y ont vu une tactique de manipulation.
Ce contraste frappant entre privilèges de leadership et souffrance publique est évident dans la vie quotidienne. La RDC reste en proie à l’extrême pauvreté et à la malnutrition, mais ses dirigeants se délectent de l’adulation publique. Le président Tshisekedi, par exemple, semble fier d’entendre les foules scander « Fatshi Beton » – un slogan populaire en sa louange – alors que son long cortège défile à travers Kinshasa. Parallèlement, il est connu pour son goût pour les marques de luxe, telles que les chaussures Weston et les vêtements de créateurs, tandis que les travailleurs essentiels, notamment les soldats, les enseignants et les médecins, ont du mal à gagner un salaire décent suffisant pour nourrir leur famille.
Ce déséquilibre entre les dirigeants n’est pas seulement intenable, il est aussi l’un des principaux facteurs de la crise actuelle. Les dirigeants qui ne parviennent pas à s’adapter aux nouvelles attentes en matière de responsabilité et de transparence se retrouveront de plus en plus incapables de garder le contrôle, en particulier à une époque où l’information se propage plus rapidement que jamais.
Ces problèmes circulent largement sur les réseaux sociaux, accessibles à tous, y compris aux soldats de première ligne qui sont censés risquer leur vie pour un gouvernement qui ne leur verse que 150 dollars par mois. Des rapports indiquent que certains soldats manquent même des produits de première nécessité, et sont souvent obligés de partager quelques miches de pain avec tout un bataillon. Malgré ces conditions désastreuses, on attend d’eux qu’ils fassent preuve de patriotisme et se battent contre une force ennemie bien équipée et très motivée. Pour couronner le tout, les mercenaires européens qui se sont rendus sans résistance auraient été payés entre 5 000 et 10 000 dollars par mois par les mêmes dirigeants qui sous-payent et négligent leurs propres troupes.
L’incapacité des dirigeants à s’adapter
Les dirigeants de Kinshasa ont fondamentalement mal évalué les temps. Ils continuent de fonctionner sur la base de l’hypothèse dépassée selon laquelle les soldats et les citoyens obéiront aveuglément à des ordres injustes et subiront les mauvais traitements sans résistance. Pourtant, la réalité sur le terrain nous raconte une tout autre histoire. L’armée congolaise, potentiellement forte et compétente, n’a cessé de reculer, permettant aux rebelles de s’emparer de ville après ville, non pas parce qu’ils n’ont pas la volonté de se battre, mais parce qu’ils n’ont pas le soutien et les ressources nécessaires pour le faire efficacement.
Le Congo, et l’Afrique dans son ensemble, ont le potentiel de surmonter leurs difficultés et de réussir, mais cela dépend entièrement de la présence d’un leadership transparent, honnête et responsable. Un leadership qui recourt à la manipulation, quelle que soit la justification, finit par trahir son peuple. L’histoire a montré que la manipulation engendre l’exploitation et la domination, deux pratiques intenables dans un monde où les gens sont plus informés que jamais. Comme le dit le dicton : on peut tromper une personne tout le temps, mais on ne peut pas tromper tout le monde tout le temps. Le réveil du peuple congolais signifie que les anciennes tactiques de contrôle ne sont plus viables et que le véritable progrès ne peut venir que d’un leadership authentique et responsable.
Leadership visionnaire : une carence en direction
Depuis leur arrivée au pouvoir en 2018, le président Tshisekedi et son administration ont pris de nombreuses décisions qui reflètent un manque fondamental de vision et d’orientation claires pour la République démocratique du Congo (RDC). Plutôt que d’entrer en fonction avec un plan bien défini, les dirigeants de Kinshasa semblaient fonctionner en partant du principe qu’ils ne découvriraient leur vision qu’après avoir pris le pouvoir. Cette incertitude a été ouvertement admise par le président Tshisekedi lui-même lors d’une interview pendant la campagne électorale de 2018, où il a déclaré qu’il ne savait pas encore quelle ligne de conduite il adopterait s’il était élu, suggérant qu’il ne le déterminerait qu’après avoir prêté serment et évalué la situation.
Il est certes raisonnable de reconnaître qu’un dirigeant ne peut pas toujours saisir pleinement la capacité opérationnelle de l’État avant de prendre ses fonctions, mais l’orientation générale du pays ne doit jamais être une considération secondaire. Diriger, c’est porter une vision au pouvoir, et non pas espérer que le pouvoir lui fournira une vision. Un dirigeant doit avoir une feuille de route avant de prendre ses fonctions, car c’est la vision qui amène un dirigeant au pouvoir, et non l’inverse.
Ce manque de prévoyance est devenu flagrant dès les 100 premiers jours de la présidence de Tshisekedi, lorsque des millions de dollars ont commencé à disparaître des caisses de l’État à cause de projets irréalistes et de transactions illicites. Dans un pays aux prises avec un taux de chômage dépassant les 90 %, le président a donné la priorité à un projet de 300 millions de dollars visant à importer des maisons préfabriquées de Turquie pour le personnel militaire. Le projet est finalement resté inachevé, les fonds ont disparu et personne n’a été tenu responsable. De même, les initiatives gouvernementales ultérieures ont continué à manquer de substance ou d’impact direct sur le bien-être socio-économique du peuple congolais. Un exemple frappant est celui des Jeux de la Francophonie, initialement budgétisés à hauteur de 84 millions de dollars, mais qui ont finalement coûté la somme exorbitante de 324 millions de dollars, sans que le pays en tire de bénéfices durables. Associées à de fréquents voyages internationaux qui n’ont pas produit de retombées économiques tangibles, ces dépenses jettent un sérieux doute sur la capacité des dirigeants à gouverner de manière efficace et responsable.
Leadership en matière de renforcement des capacités : un échec dans l’anticipation
Un leadership efficace repose sur la prévoyance, c’est-à-dire la capacité à anticiper les défis et à se préparer en conséquence. Ce principe fondamental semble avoir été négligé en République démocratique du Congo (RDC), où les dirigeants du pays n’ont cessé de négliger d’investir dans les capacités internes nécessaires pour faire face aux menaces sécuritaires de longue date. Compte tenu de l’instabilité persistante et des menaces constantes posées par les groupes armés, on aurait pu s’attendre à une approche proactive et stratégique de la défense nationale. Au lieu de cela, le gouvernement de Kinshasa s’est largement appuyé sur des mercenaires étrangers, espérant assurer la victoire grâce à la puissance militaire d’acteurs extérieurs plutôt qu’à la mise en place d’une armée nationale compétente.
La crise actuelle met en lumière les conséquences de cette approche erronée. Au lieu de consacrer des ressources à la formation, à l’équipement et à la professionnalisation des Forces armées congolaises (FARDC), les dirigeants ont gaspillé des fonds importants dans des activités improductives, dont beaucoup semblaient conçues principalement pour apaiser les puissances occidentales. L’incapacité à mettre en place un système de défense interne robuste a rendu le pays vulnérable, révélant les faiblesses d’un leadership qui manque à la fois de vision stratégique et de capacité à mettre en œuvre des réformes sécuritaires à long terme.
En fin de compte, la capacité à lutter contre la corruption, à renforcer les institutions nationales et à préserver l’intégrité territoriale est le reflet direct de la compétence de ceux qui sont au pouvoir. La situation désastreuse qui se déroule en RDC devrait servir de leçon de prudence aux futurs dirigeants, non seulement au Congo mais dans toute l’Afrique. Sans institutions fortes et autonomes et sans dirigeants attachés aux intérêts nationaux plutôt qu’à une validation extérieure, le cycle de l’instabilité et du sous-développement persistera.
Conclusion
L’un des principes fondamentaux du leadership est que si l’autorité peut être déléguée, la responsabilité ne l’est pas. Par conséquent, la crise actuelle en RDC ne doit pas être considérée simplement comme l’échec ou le recul des FARDC, mais plutôt comme le reflet du recul et de l’abdication continue des responsabilités des dirigeants de Kinshasa. Les échecs des dirigeants engendrent l’insécurité et servent de moteur au néocolonialisme en Afrique. Le rétablissement de la dignité sur le continent dépend de l’émergence de dirigeants responsables et compétents.
Les jours, les semaines et les mois à venir restent incertains pour des millions de Congolais, dont beaucoup ont été déplacés par la guerre, tandis que ceux qui restent vivent dans la peur constante de ce que l’avenir leur réserve. Plus que jamais, la RDC a un besoin urgent de changement, non seulement dans les conditions qui prévalent sur le terrain, mais aussi dans son leadership.